©Jerome Obiols

Le patrimoine des refuges : Une dimension architecturale et culturelle

À l’origine simples abris conçus pour protéger les alpinistes, les refuges de montagne ont évolué au fil des siècles pour devenir de véritables destinations, dépassant leur rôle initial de lieux de passage. Cette transformation a soulevé des défis liés à l’autonomie, au confort et au respect des normes modernes. Préserver leur caractère culturel et architectural est aujourd’hui essentiel pour maintenir leur identité unique en altitude.

7 min de lecture
Transition
Aménagement

Écrit par Par Jean-François Lyon-Caen, architecte Diplômé par le Gouvernement – Fondateur du master recherche architecture-paysage-montagne à l’ENS de Grenoble

Publié le 05 janv. 2023

Un texte est paru dans une version synthétique dans le Dossier Thématique #8 de Mountain Wilderness sur les refuges.

L'origine des refuges de montagne

Apparu avec l’invention de l’alpinisme à la fin du XVIIIe siècle, le refuge était conçu pour offrir un abri sur les voies d’accès aux sommets. Son implantation était choisie parmi les sites les moins exposés aux risques naturels (avalanche ou chute de rochers) et disposant d’une ressource en eau à proximité. L’abri était non gardé, et la vie collective reposait sur le respect des personnes et sur le maintien de la propreté des lieux. La construction comportait généralement une pièce (5x7m. environ) divisée en quatre espaces pour cuisiner, manger, ranger et dormir (dix à vingt couchettes). Les matériaux étaient acheminés de la vallée à dos de mulet et à dos d’homme.

De simples abris aux auberges d'altitude que nous connaissons, leur évolution

Puis le refuge n’a pas cessé d’être transformé au gré de l’évolution des pratiques de la montagne et des techniques de construction. Le gardiennage a introduit de nouvelles dispositions (cuisine, logement, réserves, salle commune). Les pratiques hivernales ont imposé l’adaptation des refuges à un fonctionnement durant toutes les saisons. Avec la fréquentation accrue de la montagne, les refuges se sont multipliés et se sont agrandis. L’usage de l’hélicoptère pour la construction a généré la recherche de procédés constructifs appropriés aux situations géographiques et aux conditions climatiques. La crise de l’énergie a imposé l’intégration des dispositifs technologiques renforçant l’autonomie, donnée inhérente à la vie en altitude. Plus récemment, le refuge devenu un but de courses, l’architecture prend une place significative, l’abri étant désormais assimilé à une auberge d’altitude.

Sécurité et confort redéfinissent les refuges depuis les années 90

Cependant, à partir des années 90 les règles de sécurité et les directives de confort ont complexifié la réalisation des refuges et entrainé de nombreuses mises aux normes. Décrétés « établissement recevant du public » (ERP), les refuges de plus de 40 places doivent comporter un « volume recueil » pour abriter les personnes en cas de sinistre. Les espaces sont séparés par des matériaux coupe feux ce qui modifie la transparence à l’intérieur du refuge. Par mesure d’hygiène, chaque couchette doit être individualisée et les dortoirs avec bas flancs reconsidérés. Les sanitaires sont agrandis et pourvus du confort (eau chaude, douches, toilettes). Les équipements ménagers et techniques se multiplient (ordinateur, téléphone, réfrigérateur, congélateur, batterie électrique, réserve d’eau chaude) nécessitant des besoins croissant en énergie électrique. Réserver sa nuit est devenu obligatoire.

© Jérome Obiols

Refuges d’altitude : une mutation dictée par les besoins contemporains

L’amélioration des prévisions météorologiques a eu pour effet de concentrer les séjours sur des périodes plus courtes. La cuisine est un enjeu : la salle commune se transforme en salle de restaurant équipée d’un bar et d’un salon. Le coin « repas hors sacs » est délaissé. Garder un refuge est un métier qui nécessite un diplôme, d’avoir des aides et de respecter le droit du travail. Les gardiens doivent disposer de leurs propres espaces. Le portage à dos d’homme disparaît au profit du ravitaillement par hélicoptère. Le téléphone cellulaire accompagne la sécurité des alpinistes et des randonneurs. Stages, spectacles, expositions, artistes ou chercheurs en résidence s’installent au refuge. En quelques années, la vie du refuge est confrontée à des problématiques voisines de celles de l’hôtellerie (accueil, restauration gastronomique) qui ont imposé de reconsidérer les programmes dont les surfaces. Des ratios de 10 à 12m2 par personne ont ainsi remplacé les quelques m2 fixés dans des directives du CAF.

La nécessité préserver l’authenticité face aux normes modernes

Désormais, les refuges sont régulièrement évalués et soumis à des « indicateurs » (équilibre financier, taux de fréquentation, enquêtes de satisfaction) qui guident les projets à engager : démolition, reconstruction, restauration, agrandissement, surélévation. En répondant ainsi aux seules normes en vigueur, les projets omettent de prendre en considération les caractères de la construction existante et l’architecture, issue souvent d’une conception audacieuse, sinon novatrice, comme le révèle la pérennité des ouvrages soumis à des intempéries et des conditions climatiques extrêmes.

En occultant la dimension culturelle du refuge, l’architecture devient banale, avec parfois des exceptions. C’est ainsi ce qui a pu être évité pour la reconstruction du refuge de l’Aigle, en 2014, avec le maintien des bas flancs (datant de 1910) qui ont façonné l’espace intérieur « tout-en-un » couvert par une charpente bois contemporaine de volume comparable à la construction originelle.
C’est ce qui devrait guider la réhabilitation du refuge des Évettes (Hte-Maurienne), héritier d’une architecture contemporaine remarquable par la simplicité et l’économie de matière (réalisé en 1970), en liant la restauration de l’édifice à la construction, à proximité, d’un volume complémentaire conçu avec l’ingéniosité attendue au XXIe siècle.

Chaque projet devrait reposer sur la poursuite de la simplicité de l’hébergement de montagne qui demeure le signe distinctif du refuge d’altitude, tout en continuant les explorations architecturales novatrices.

Partager cet article via

Ça peut aussi vous intéresser !

Cet article vous a plu ?

Notre association est majoritairement financée par les citoyen.nes, ce qui nous permet de garantir l’indépendance de nos actions et de nos positions. Pour continuer de vous informer en toute liberté, faites un don !
  1. Nous soutenir