Voiture sur la route de Bellecombe - Parc national de la Vanoise

WilderPass : Bilan d’une troisième année de mesures du bruit en montagne

Pour la troisième année successive, Mountain Wilderness et BioPhonia se sont associés à des gestionnaires d’espaces protégés pour enregistrer et caractériser le bruit routier en montagne. Pour la première fois, la biodiversité a également été étudiée sur les trois sites retenus en 2024 (des routes en cul de sac ou des axes secondaires de circulation). Retour sur une campagne de mesures riche en enseignements et perspectives.

10 min de lecture
Vanoise
Chartreuse
Vosges
Alpes-Maritimes
Queyras
Belledonne
Espaces protégés

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 03 févr. 2025

La pollution sonore porte atteinte à l'environnement montagnard

Le projet WilderPass est né d’un constat : la pollution sonore porte atteinte à l’environnement montagnard, ses habitants et ses visiteurs, qu’ils soient humains ou non. Le bruit générateur de stress a des effets physiologiques délétères sur l’homme comme sur la faune, et ce jusqu’au cœur des massifs montagneux, derniers espaces de quiétude et de ressourcement. Pourtant, les actions concrètes susceptibles de réduire cette pollution anthropique et de restaurer d’une part la wilderness des grands espaces de montagne et d’autre part la qualité de vie des riverains ne sont que rarement mises en œuvre, faute de portage politique.

Ainsi, en juillet 2022, deux capteurs sonores ont été placés en amont (300 mètres) de la route du col du Glandon pour mesurer l’émergence1 et la couverture temporelle du bruit, et ainsi dresser un constat chiffré et objectif qui puisse alimenter le débat public. Le traitement des enregistrements par un logiciel d’analyse dédié a permis de confirmer que cette pollution n’est pas un phénomène localisé : les capteurs placés à une distance importante de la route ayant enregistré une pollution sonore généralisée et à des niveaux sonores très importants (le bruit routier supérieur à 5 dBA était alors présent 44 % du temps en moyenne, c’est-à-dire pendant 6h10 chaque jour entre 7h et 21h, et à des niveaux pouvant atteindre 34 dBA).

Un protocole de capture sonore déployé sur plusieurs massifs montagneux

Dès 2023, nous avons fait le choix de mettre en place un protocole reproductible et généralisable, qui nous permette à la fois de dresser des constats objectifs et de comparer les sites entre eux. En s’associant à plusieurs gestionnaires d’espaces protégés2, nous avons ainsi pu poser nos capteurs aux abords de trois grands cols routiers : le col du Cucheron, le col d’Izoard et le col de la Cayolle. Le constat était similaire, puisqu’en moyenne ces trois cols sont concernés par la pollution sonore 44 % du temps (dont 31 % en prenant uniquement en compte les voitures et motos passant à proximité immédiate du capteur). Pour aller plus loin cette même année, nous avons cherché à relier chaque évènement sonore au véhicule l’ayant émis. Nous avons ainsi pu quantifier le rôle des motards dans la suppression des espaces de silence : ces derniers étant en moyenne 38 % plus bruyants.

La mise en œuvre de ce même protocole a permis de reproduire cette étude de la pollution sonore en 2024. En nous associant avec des gestionnaires d’espaces protégés3, et grâce au concours de plusieurs collectivités et établissements publics4, nous avons à nouveau cherché à caractériser la pollution sonore (émergence et couverture temporelle) non plus aux abords des grands cols routiers, mais à proximité des routes en cul de sac ou des axes secondaires de circulation.
Trois sites ont ainsi pu être concernés par les mesures : la route des crêtes, dans les Vosges ; la route de Bellecombe, en Vanoise, et la route du Charmant Som, en Chartreuse.

Chiffres-clés des campagnes de mesures sonores

MESURES 2023

  • Sous le col d’Izoar, la pollution sonore est présente 46 % du temps (soit un équivalent de 6h26) à un volume moyen de 13,3 dBA ;
  • Sous le col du Cucheron, la pollution sonore est présente 40 % du temps (soit un équivalent de 5h36) à un volume moyen de 10,5 dBA ;
  • Dans les gorges de Daluis, la pollution sonore est présente 45 % du temps (soit un équivalent de 6h18) à un volume moyen de 12,7 dBA.

MESURES 2024

  • À proximité de la route des crêtes, la pollution sonore est présente 22 % du temps (soit un équivalent de 3h05) à un volume moyen de 18,6 dBA ;
  • À proximité de la route de Bellecombe, la pollution sonore est présente 15 % du temps (soit un équivalent de 2h06) à un volume moyen de 10,2 dBA ;
  • À proximité de la route du Charmant Som, la pollution sonore est présente 13 % du temps (soit un équivalent de 1h49) à un volume moyen de 11,5 dBA.
© Léo Papet
© C. Gérard

Ainsi, comme depuis 2 ans, cette nouvelle étude met en évidence une pollution sonore notable. Les nuisances sonores ont une émergence moyenne similaire sur l’ensemble de ces six routes, à l’exception de la route des crêtes où le trafic motorisé est particulièrement bruyant. En revanche, les routes en cul de sac sont bien moins concernées par l’omniprésence de cette pollution sonore, notamment du fait de leur moindre fréquentation5. Bien que la couverture temporelle des nuisances soit moins importante, les taux mesurés révèlent une altération sonore significative dans les espaces naturels alentours. Qui plus est, et conformément aux études des flux de véhicules réalisées par ailleurs, les variations temporelles montrent des pics de pollution sonore corrélés aux week-ends et à une météo favorable, particulièrement marqués au Charmant Som. Enfin, l'analyse de l'émergence acoustique met en évidence des évènements de pollution sonore marqués (jusqu’à 55,3 dBA6), pouvant générer une gêne importante pour les riverains, pour les visiteurs et pour la faune locale, particulièrement dans ces environnements où le bruit ambiant est faible.

L’apport de la biophonie pour recencer l'avifaune

La nouveauté de la campagne de mesure de 2025 a été la réalisation d’un inventaire naturaliste de l’avifaune locale en utilisant les méthodes d’acoustique passive et la biophonie (c-à-d l’étude des sons produits par la faune). Cette démarche a permis de fournir une liste des espèces d’oiseaux présentes à proximité des lieux de déploiement des enregistreurs acoustiques.

  • 61 espèces ont pu être identifiées dans la Réserve naturelle nationale de Tanet – Gazon du Faing ;
  • 48 en Vanoise ;
  • 43 au Charmant Som.

Si ces listes d’espèces sont loin d’être exhaustives (notamment car elles ont été constituées après la période la plus propice), elles correspondent en tout point à ce qu’on attend des milieux de montagne où les capteurs étaient placés. Ces inventaires, une fois complétés par une étude bibliographique des cycles de vie des espèces identifiées, permettront d’avoir une bonne idée des espèces d’oiseaux potentiellement impactés par ces nuisances sonores.

Vers la mise en place d'actions concrètes pour la réduction des nuisances sonores

Les mesures se poursuivront en 2025 dans les Vosges. L’étude s’étalera de mars à octobre pour couvrir la majorité de la durée du cycle de vie des espèces, et ciblera l’étude des impacts potentiels du trafic routier sur les espèces locales.

Nous avons cependant suffisamment de données pour passer à l’action dès maintenant. La publication des résultats du projet WilderPass permet de faire exister le sujet de la pollution sonore dans le débat public. Ainsi, une rencontre a pu avoir lieu entre Mountain Wilderness, SAPN-FNE 05 et deux élus communaux concernés par cette problématique, suivie d’une autre rencontre avec les équipes du Conseil départemental des Hautes-Alpes. Nous espérons que ces discussions aboutiront sur un consensus autour de la mise en œuvre d’actions concrètes pour la réduction des nuisances sonores. Une autre rencontre est organisée mercredi 5 février à Saint Pierre de Chartreuse, à l’issue de laquelle les chartroussins pourront envisager les suites à donner aux résultats qui leur seront présentés.

Le constat est ainsi dressé et les pistes d’action sont nombreuses. Ces actions dépendront évidemment du contexte local et de la volonté des acteurs locaux. Aussi, si la question des nuisances sonores vous concerne, n’hésitez pas à nous contacter pour que nous tentions ensemble d’y remédier.

  1. L’émergence correspond à la différence entre le bruit ambiant – comportant ici les bruits anthropiques dont le bruit routier – et le niveau de bruit résiduel, c’est-à-dire le bruit de fond de l’environnement. Cette mesure correspond le mieux à la gêne procurée par la pollution sonore. Elle est notamment définie par l’article R 1336-7 du code de la santé publique.
  2. Le Parc naturel régional de Chartreuse, le Parc naturel régional du Queyras et la Réserve naturelle régionale des Gorges de Daluis.
  3. Le Parc naturel régional de Chartreuse et la Réserve naturelle nationale de Tanet – Gazon du Faing dans le Parc naturel régional des Ballons des Vosges.
  4. Le Parc national de la Vanoise, l’Office national des forêts, la commune de Termignon, Grenoble Alpes Métropole.
  5. L’étude menée dans les Vosges a également permis de s’assurer de la corrélation entre le flux de véhicules et le nombre d’évènement sonores détectés.
  6. Passage de motos sur la route du Charmant Som et dans la montée du col d’Izoard.

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