Le véritable enjeu dans cette absolutisation de la propriété privée ne réside pas tant dans la possibilité, pour les propriétaires, d’interdire l’accès à leurs terrains, que dans le fait qu’ils puissent le faire de manière totalement arbitraire — par simple caprice, sans même devoir invoquer un motif, fût-il symbolique, comme la préservation de la biodiversité. Face à un état du droit aussi déséquilibré en faveur des propriétaires, les collectivités territoriales se retrouvent complètement démunies, incapables de garantir la pérennité et la continuité des itinéraires de promenade et de randonnées au sein du département.
À ce jour, le seul outil à disposition des collectivités est la signature de conventions de passage et l’inscription de sentiers au Plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR). Les départements sont légalement obligés d’établir un PDIPR5. Sur un sentier inscrit au PDIPR, une convention est passée entre les propriétaires du chemin et la collectivité territoriale (commune, communauté de commune, Parc naturel régional), après quoi les promeneurs peuvent circuler librement. En règle générale, la convention indique que la collectivité récupère la charge de l’entretien et du balisage des sentiers, et qu’elle engage sa responsabilité en cas d’accident. En cela, la signature d’une convention de passage et l’inscription d’un sentier au PDIPR représente un avantage de taille pour les propriétaires, ou permet tout du moins de lever les freins légitimes à l’ouverture des sentiers au public. Pour ces raisons, cet outil avait été présenté par un certain nombre de propriétaires comme la seule voie de sortie souhaitable aux conflits d’usage6. Il montre aujourd’hui ses limites et se révèle largement insuffisant :
- Un manque de moyens
Un « petit sentier » comme le sentier Vermorel (moins de 2 kilomètres) traverse 19 parcelles. Les collectivités, quelle que soit leur taille, sont dans l’incapacité matérielle d’organiser la signature de l’ensemble des conventions de passage nécessaires. Sur le seul département de l’Isère, le PDIPR rassemble 9 232 kilomètres de sentiers : même si les collectivités et les organismes spécialisés dans le lien avec les propriétaires (CRPF, …) mutualisaient leurs efforts, le conventionnement de l’ensemble des sentiers nécessiterait des moyens humains et financiers bien supérieurs à ceux dont ils disposent . Ce constat explique les nombreux « ratés » qui émaillent l’animation des PDIPR. Par exemple : le sentier Vermorel est inscrit au PDIPR, mais personne à ce jour n’est en mesure d’affirmer qu’une convention a été passée entre Grenoble Alpes Metropole, la Fédération française de randonnée et le propriétaire. - Un outil court termiste et insuffisant
Les conventions de passage sont généralement valables 3 à 5 ans, puis renouvelées par tacite reconduction. Elles peuvent toutefois être dénoncées par l’un des signataires avec un préavis de 3 à 6 mois selon les conventions. Elles restent également vulnérables aux changements de propriétaires, puisque contrairement aux servitudes qui sont visées dans les actes de propriété et donc rattachées aux parcelles, elles doivent être renégociées à chaque changement de propriétaire. Pour ces deux raisons, les conventions ne constituent pas une garantie suffisante pour pérenniser le droit de passage sur le long terme.
De plus, les conventions ne concernent que les sentiers, excluant de fait l’ensemble des activités s’exerçant au-delà (escalade, course d’orientation, …). Enfin, certaines conventions récentes ne permettent plus que la pratique de la randonnée, là où la norme était la multi activité il y a quelques années.