« Je mesurais 480 mètres et, bien sûr, je m’étais étalé de tout mon long sur la pente. Mes pieds frôlaient les 760 mètres tandis que ma tête, à 860 mètres, ne dépassait pas souvent des nuages.
Habitué au froid en hiver, je hissais les skieurs du village qui redescendaient à mes pieds sans même me saluer.
Et puis, petit à petit, j’eus moins froid en hiver, les skieurs se firent rares aussi. Mon moral s’effondra… et je fus déclaré mort en 1976.
On commença à me déshabiller, mes longs cheveux puis mes muscles. Ne restaient plus que mes six pauvres vertèbres percluses d’arthrose, mais encore debout.
En octobre 2016, la visite de bonshommes munis de micros et de caméras me fit la plus mauvaise impression. Se préparait-on à me démembrer complètement ? Après quelques mois, rien ne s’étant passé, je repris espoir.
Puis, soudainement et mystérieusement, mon pied fut arraché. Par qui et quand ? Cela reste un mystère.
Je gardais confiance, car mon corps n’enjambait pas moins de six parcelles, et leurs cinq propriétaires étaient là pour me défendre.
Las !
C’était sans compter sur la ténacité d’un membre d’une association attachée à la beauté des grands espaces sauvages. Il rassembla une coalition en juillet 2017 avec l’édile du lieu, et parvint à faire aboutir son funeste projet à la fin du mois d’août.
La présence de mes charmantes compagnes broutant à proximité me laissa un court répit jusqu’en octobre.
Faut-il vous décrire les scènes d’horreur dont je fus la victime ?
Un premier passage de trois membres de cette association me décortiqua la base des vertèbres le 1er octobre. Ils furent de retour le 4 octobre pour m’achever, mais je résistais tant bien que mal. Ce ne fut que le 5 qu’ils finirent par venir à bout de mon anatomie.
Je fus descendu en morceaux sur la place du village, au vu et au su de tout le monde. Pour parfaire mon supplice, il me fallut attendre mercredi 11 l’enlèvement de mes restes.
Et l’opinion publique, qu’en pensait-elle donc ?
Eh bien, personne ne s’offusqua ; certains même se réjouirent !
Mon seul ami, celui qui avait participé à ma naissance, me regretta vraiment, d’autant plus que ses chevaux prenaient plaisir à venir se frotter contre moi.
Et voilà contée la bien triste fin d’un téléski qui vit passer tant d’enfants, de jeunes et de moins jeunes avant que le réchauffement climatique n’eût raison de lui. »