Silence : respectons le massif du Mont-Blanc © Nicolas Hairon

Retrouvons le silence dans les espaces naturels de montagne

Se ressourcer en montagne, loin du bruit, est devenu une nécessité dans une société où le rythme effréné nous pousse à toujours aller plus vite. Cette quête constante d’efficacité perturbe non seulement notre bien-être, mais aussi celui de la nature. Il est urgent de repenser notre relation avec ces derniers refuges de quiétude et de préserver leur silence précieux.

7 min de lecture
Loisirs motorisés

Écrit par Anne-Claire Jude, bénévole Mountain Wilderness

Publié le 01 avr. 2020

Nous vivons tous dans un même milieu, un « contrat naturel » est passé entre toutes les communautés et la nature ; c’est un contrat global. L’homme n’est pas séparable de son milieu. S’il l’attaque, il finira par s’attaquer. En défendant son milieu il défend aussi ses droits.
Depuis quelques semaines, dehors, les moteurs se sont tus. Le vent agite les arbres dans un bruissement continu, les oiseaux sont devenus intarissables. La vie de déplacements frénétiques et de consommation à outrance a ralenti au maximum dans la plupart des lieux, chacun confiné chez lui. Le monde extérieur semble proche avec internet, et si loin en même temps. Les relations sociales se redéfinissent, se resserrent.
Les rues sont désertées, muettes, emplies de silence. Mais oui, c’est bien ça le plus impressionnant, on n’entend plus ce brouhaha continu, on n’est plus agressés par les klaxons, mobylettes, avions… Plus à cran de ce ronronnement qui nous ronge ! La Terre s’apaise, se purifie, se remet à chuchoter de mille voix ; c’est le moment de prendre conscience de ce que le bruit occasionne et de réfléchir à comment l’éloigner le plus possible et préserver des zones de quiétude à l’abri de toute nuisance. Dé-saturer la planète pour libérer une marge de respiration.

« Quand la brise virait d’un quart, voilà tout le col du Jouly qui vous arrivait dessus avec ses longs troupeaux de musique transparente et on entendait aussi les chiens aboyer autour des haberts. Une gentiane à l’azur de miracle battait la mesure de l’orchestre à deux pouces de mon visage. C’est alors qu’il m’arriva la chose la plus rare au monde ; je perçus mon propre bonheur dans le même temps où je me trouvais submergé par cet univers souriant. Tout désir en moi se trouva pour l’instant non point aboli, mais très exactement comblé. »

Samivel dans L’opéra des pics

Le bruit agresse et détruit : les conséquences du bruit urbain sur la nature et la montagne

Loin d’être une absence totale de bruit, le silence est une absence de bruit parasite et agressif dans un lieu calme. Autour de nous, le bruit est partout et peu à peu nous nous y sommes habitués, contraints et forcés. Nous vivons, pour beaucoup, dans des lieux trop bruyants, sur-éclairés, où nous sommes sur-sollicités. Et ça n’est pas sans conséquences ! Cela engendre beaucoup d’effets néfastes sur notre santé : stress, troubles de la concentration et du sommeil, agressivité ; mais occasionne aussi des troubles pour la nature. Les animaux voient leur rythme biologique troublé, leurs habitats perturbés voire détruits, ils ne peuvent parfois même plus communiquer. Contraints de modifier leur façon de vivre, ils vont parfois jusqu’à disparaître faute d’arriver à s’adapter. Cela engendre alors des conséquences sur tout le vivant, avec parfois un impact direct pour nous, par la transmission facilitée d’agents pathogènes entre espèces par exemple, tant les lieux de vie se rapprochent et se fondent.

Délocaliser, importer à outrance, assourdir le monde entier par les transports ne fait que déséquilibrer les économies locales et tout le monde vivant.
Dans ce vacarme constant, nous sommes tendus, moins productifs et cherchons à fuir ; mais souvent paradoxalement dans le bruit : musique, tv, loisirs motorisés…
Écrasés sous ce bruit incessant, avons-nous peur du silence ? Pourtant, ce vacarme nous use…

Nous essayons de nous extraire de ce vacarme tout en faisant hurler les moteurs. Fuir les villes pour trouver un peu de quiétude, mais sans surtout changer notre façon d’appréhender notre environnement. Y aller vite, efficacement. Chercher les sensations fortes et la vitesse. Nous tentons de fuir notre cadre de vie néfaste pour nous tourner vers les lieux les plus sauvages, comme la montagne…
Vertigineuse, impressionnante, longtemps tabou et crainte, elle semble être le lieu privilégié pour se ressourcer et profiter d’un calme retrouvé et apaisant. Pourtant, nous vivons là-haut comme dans les villes et vallées et nous en perdons tous les bénéfices. Si c’est pour retrouver la même uniformisation et le même vacarme que partout, à quoi bon y aller ? Pour briller sur les réseaux sociaux ?
La nature, la montagne ne sont alors qu’une ressource à exploiter. Certains pensent qu’il faut en tirer le plus grand profit, l’aménager à outrance pour la revendre artificialisée à des malheureux en quête de silence et de grands espaces sauvages. Est-ce bien sérieux ?

Les promoteurs redoublent d’inventivité pour proposer de l’exceptionnel, de l’inédit, de l’unique : vol panoramique, randonnées en véhicules motorisés de tous genres, concerts gigantesques en altitude, nuit en dameuse sur les pistes… Mais toujours avec les codes de la consommation, de la culture de masse subtile comme le bulldozer ; sans respect ni prise en compte de la valeur et des qualités des lieux où ça se passe, ni de ses habitants. Se détendre, vite, faire le plein d’adrénaline et surtout sans trop d’efforts. Au final, comme ce qu’on fuit… Pour en tirer quoi ?
Et quand ça s’arrête brutalement, on se retrouve penauds, livrés à nous-même. Alors on continue un peu à s’agiter, puis on se calme, on écoute… Et on s’habitue à ce calme. Un bruit de moteur nous agresse tant nous nous en étions rapidement déshabitués. Quand nous le pouvons, nous arrêter et regarder autour de nous ; se rendre compte que ça nous fait du bien !

Dans les espaces sauvages des montagnes, appel à un retour au calme

Le retour au calme ne peut que nous être bénéfique. On observe partout l’explosion de vidéos, cours, publications autour de la méditation, de la gestion du stress… La réponse est peut-être bien à notre portée sans que nous voulions ou pouvions le voir ?!

« Ce que le progrès demande inexorablement aux hommes et aux continents, c’est de renoncer à leur étrangeté, c’est de rompre avec le mystère, et sur cette voie s’inscrivent les ossements du dernier éléphant… L’espèce humaine est entrée en conflit avec l’espace, la terre, l’air même qu’il lui faut pour vivre. Les terrains de culture gagneront peu à peu sur les forêts et les routes mordront de plus en plus dans la quiétude des grands troupeaux. Il y aura de moins en moins de place pour les splendeurs de la nature. »
Romain Gary dans Les Racines du Ciel

Dans cet élan, la montagne est un des rares sanctuaires de silence et de sauvage suffisamment impressionnant pour avoir la force de nous faire prendre conscience qu’il faut changer notre rapport au monde et notre façon de vivre. Il est temps de ralentir, de s’apaiser, de réapprendre à écouter et à chuchoter. Redécouvrir les espaces sauvages pour ce qu’ils sont et prendre la mesure de leur valeur, de la nécessité impérieuse de les protéger pour nous protéger tous.

« Ce qu’il défendait, c’était une marge humaine, un monde, n’importe lequel, mais où il y aurait place même pour une aussi maladroite, une aussi encombrante liberté. Progression des terres cultivées, électrification, construction des routes et des villes, disparition des paysages anciens devant une œuvre colossale et pressante, mais qui devait rester assez humaine cependant pour qu’on pût exiger de ceux qui se lançaient ainsi en avant qu’ils s’encombrent malgré tout de ces géants malhabiles pour lesquels il ne semblait plus y avoir de place dans le monde qui s’annonçait… »

Romain Gary dans Les Racines du Ciel

Couper le contact, ralentir et écouter le silence des montagnes sauvages

Allons en montagne alors, courons dans la nature pour profiter chacun de nos loisirs, oui ; mais sans empiéter sur la liberté des autres. Après s’être rendu compte du bonheur du silence, comment continuer à y aller bruyamment ? Avec la musique à fond, sur un véhicule vrombissant ? Nous ne pouvons pas continuer à laisser une minorité s’accaparer ces espaces au nom de sa liberté. Les loisirs motorisés ou bruyants (comme les gros concerts en altitude) n’ont pas leur place dans ces derniers espaces de quiétude encore existants et qui, si nous continuons comme ça, vont disparaître. De quel droit ? Et pour se rendre compte qu’on recherche constamment le calme sans le trouver ?

A l’heure du changement climatique que nous apercevons de loin sans vraiment en prendre encore tout à fait la mesure, continuer à promouvoir le tout moteur (même de plus en plus souvent électrique) dans les loisirs est une aberration. C’est non seulement continuer à développer une façon de vivre et de consommer, légitimer les loisirs polluants et bruyants et les ériger en norme ; mais c’est surtout refuser de regarder la réalité en face, refuser de croire que c’est possible et surtout nécessaire de chercher d’autres pistes si nous ne voulons pas que les derniers espaces de liberté, de silence, de sauvage deviennent asservis, aseptisés et dénaturés comme le sont la plupart de nos espaces de vie.

Retrouver du lien et relancer les échanges dans les espaces de quiétudes

Il n’est pourtant pas là question d’être contre le tourisme et la liberté pour tous de profiter de ces espaces, bien au contraire, la montagne et ses habitants en ont besoin pour vivre et chacun doit pouvoir en profiter. Chaque lieu a une identité, une vie propre, singulière à préserver et mettre en valeur. Un lieu à vivre et non à administrer, exploiter et détruire comme matière première.
Dans l’état de Washington, Gordon Hempton (écologiste acousticien) a créé "One Square Inch Of Silence", une zone de silence préservée au milieu du parc national d’Olympic. Il en existe une douzaine aux Etats-Unis. Ces zones permettent de venir écouter le silence si l’on y vient sur la pointe des pieds, et sont des zones où les animaux retrouvent leur tranquillité. C’est donc possible ! Oui, toutefois fragile. Cependant, une fois qu’on y a goûté, qu’on l’a touché du doigt, peut-être bien que le silence nous devient tellement précieux qu’on cherchera à la retrouver et à le préserver par tous les moyens ?!

Préservons le calme naturel des montagnes et espaces sauvages

Ce que nous vivons actuellement me fait penser à l’expérience de l’altitude. Le calme, chacun vaque à ses occupations, lentement. Une sortie de temps en temps comme ces montées aux camps supérieurs. Le reste du temps, se reposer, observer l’environnement entre une semi-léthargie et la contemplation. Se laisser porter, puis d’un coup être à 100% dans l’action.
Cependant, la pause actuelle dans la folie n’est pas choisie mais imposée. Par notre mode de vie, nos exigences toujours plus grandes, notre insatiabilité d’action, de consommation et de déplacement. Mise à l’arrêt d’une partie des activités contre sur-sollicitation des autres. Ça pose question sur notre organisation de société… Et s’il était possible de vivre sans une invasion totale de rugissements de moteurs, de musique ; sans une promotion de la vitesse quel que soit le lieu ? Préserver des espaces à l’image de ce que nous pouvons apprécier aujourd’hui, où le silence est maître et où chacun pourrait venir se ressourcer ?

Si cette obligation au calme devenait une demande, une volonté ? Empêcher les multinationales de reprendre les rênes et de les garder ; sauver et faire renaître les petits liens et attentions aux autres retrouvées. Essayer de garder cette respiration retrouvée par la nature, sans laisser personne de côté ; pouvoir la retrouver partout où nous allons.
De quoi a-t-on peur ? De changer de mode de vie ? De tout perdre ? De tourner le dos à ce monde qui veut juste nous faire consommer et s’engraisser toujours plus ? Continuer à enchaîner les crises, à s’agripper bec et ongles à quelques habitudes la peur vrillée au ventre de les perdre… Si nous ne faisons rien, ça arrivera de toute façon.

De graves crises ont lieu depuis longtemps (famines, épidémies) dans le monde, mais loin de nous… La crise actuelle est proche, nous impacte directement. Il est temps de lever le nez, de prendre du recul et la mesure que ça n’arrive pas qu’aux autres loin de nous. Que tout est lié. Respecter cette tragédie, ceux qui en souffrent ; mais aussi en tirer des leçons, et à grande échelle ! Respecter ce et ceux qui nous entourent, en prendre soin pour prendre soin de nous. Choyer les lieux rares, réserves de sauvage, de silence et de pureté ; ce n’est pas un luxe de pays riche !

Ce ralentissement peut-être une accélération du bénéfice tiré de nos montagnes, un accroissement qu’elles ont pour tous ; alors, allons-y, silence !

Références

  •  Henry-David Thoreau Walden ou la vie dans les bois
  •  Alain Corbin Histoire du silence – De la Renaissance à nos jours
  •  Romain Gary Les racines du ciel
  • Télérama numéro spécial Silence
  • Elisée Reclus
  • Matthew Crawford Eloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail

Partager cet article via

Ça peut aussi vous intéresser !

Cet article vous a plu ?

Notre association est majoritairement financée par les citoyen.nes, ce qui nous permet de garantir l’indépendance de nos actions et de nos positions. Pour continuer de vous informer en toute liberté, faites un don !
  1. Nous soutenir