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Tribune | JOP d'hiver 2030 : un projet imposé, coûteux et néfaste pour les Alpes

À qui servent ces Jeux ? Aux grands élus ? Aux promoteurs immobiliers ? Aux sponsors et aux fédérations internationales soucieuses de conserver leur place dans l’agenda olympique ? Est-il pertinent de dépenser plus de 4 milliards d’euros pour satisfaire quelques intérêts particuliers ? Il est temps d’arrêter ce projet pour consacrer notre énergie aux transitions des territoires de montagne.

Tribune parue dans Le Monde le 14 décembre 2025

Cet été, l’isotherme 0°C a dépassé les 5 000 mètres d’altitude empêchant le regel nocturne du Mont-Blanc. Les glaciers disparaissent à vue d’œil et la ressource en eau se fragilise. Alors que la montagne subit de plein fouet l’emballement de la crise climatique avec un réchauffement deux fois plus rapide qu’en plaine, la France s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 dans les Alpes. Comment justifier un tel choix ?

Dans ces territoires splendides mais fragilisés, les Jeux d’Hiver cherchent à réactiver la magie du siècle dernier : Construction de nouveaux équipements (patinoires, villages olympiques) et rénovations coûteuses d’infrastructures dont l’utilité est limitée (piste de bobsleigh, tremplins…), recours massif à l’enneigement artificiel imposé par les fédérations internationales, et ce malgré des températures en hausse dans tous les massifs… Les JOP 2030 sont en contradiction flagrante avec l’accord de Paris, la loi Climat et l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) et les limites planétaires dont 7 sur 9 sont déjà dépassées.

On nous propose des Jeux en pleine contradiction avec les enjeux d’adaptation et d’atténuation. Les compétitions seront réparties entre quatre pôles éloignés (la Savoie, la Haute-Savoie, le Briançonnais et la Côte d’Azur), synonymes de déplacements logistiques carbonés et de flux touristiques massifs. Ces JOP sont un contresens au moment où la Cour des comptes et l’Autorité environnementale appellent à réduire drastiquement l’empreinte des mobilités.

Les Alpes souffrent déjà : manque de neige, modèle économique des stations fragilisé, tourisme de masse qui impacte habitants et milieux, immobilier touristique galopant rendant le logement inaccessible dans les vallées alpines. Plutôt que d’accompagner la transition, ces Jeux figent les territoires de montagne dans un modèle à bout de souffle, hérité de Grenoble 1968 et d’Albertville 1992.

Ni débat public, ni consultation du Conseil national de la montagne, du Comité de massif des Alpes, ni saisine de la CNDP, ni évaluations environnementales, ni études d’impact… cette décision impulsive a été imposée pour des raisons politiques. La signature précipitée du contrat hôte et les dérogations législatives en matière d’urbanisme et d’environnement témoignent d’un passage en force : ils exposent désormais la France à une procédure internationale devant l’ONU, qui interroge la légalité même du lancement de ce projet.

Ce déni démocratique vient d’être officiellement reconnu au niveau international. Le 19 novembre 2025, le Comité de contrôle du respect de la Convention d’Aarhus (Nations Unies) a jugé recevable la saisine déposée par plusieurs organisations dénonçant l’absence totale de participation du public au processus décisionnel des JOP 2030. Cette décision historique confirme que la France a engagé le pays dans ces Jeux en violation de ses obligations internationales, qui imposent d’associer les citoyens dès la phase où toutes les options demeurent ouvertes (y compris ne pas organiser les Jeux).

À l’impréparation s’ajoute l’instabilité : candidatures successives, revirements politiques, divergences sur les disciplines olympiques, incertitudes persistantes sur les sites et l’héritage. Ce bricolage institutionnel accroît le risque de dérives financières et environnementales, déjà observées dans l’histoire olympique.

À cela s'ajoutent des risques financiers et juridiques majeurs. Les garanties financières imposées par le CIO font couvrir les déficits aux contribuables. Les lois olympiques dérogent au cadre législatif existant, qu’il s’agisse d’urbanisme, de droit de l’environnement ou de sécurité. Enfin, la clause compromissoire du contrat hôte impose de recourir à un arbitrage international en cas de litige, interrogeant profondément la perte de souveraineté.

Avec un coût estimé à plus de 4 milliards d’euros, dont 2,5 milliards d’argent public, avant même la consolidation du projet (2,1 Md€ pour le COJOP et 1,3Md€ pour la Solideo qui s’occupe des infrastructures…), les JOP 2030 risquent de ne pas inverser la tendance de l’histoire des Jeux : des coûts sous-évalués, des recettes prévisionnelles surestimées… donc des déficits à éponger, alors que la répartition des sites n'est toujours pas définitive. En peine crise budgétaire et politique, engager de telles sommes pour deux semaines de spectacle relève de la fuite en avant. 

Les Alpes n’ont pas besoin de rayonnement supplémentaire, elles sont déjà attractives. Cet argent devrait financer la résilience des territoires de montagne menacés par le réchauffement et la fragilité de leur économie fondée sur la neige, freiner la bulle immobilière et accompagner les transitions (logement, mobilité, économie, tourisme, agriculture…).

La recevabilité du recours Aarhus remet la démocratie environnementale au centre du débat. Elle appelle la France à suspendre l’examen du projet de loi olympique et à organiser un véritable débat public sur l’opportunité même d’accueillir ces Jeux. Notre opposition n’est pas nostalgique. Nous appelons à un véritable débat national : Quelles pratiques sportives voulons-nous encourager ? Quels modèles économiques voulons-nous transmettre ? Quels héritages voulons-nous laisser aux futures générations ? Le CIO promet un rêve de deux semaines, mais les Alpes n’ont pas besoin de rêves artificiels, mais d’eau, de forêts vivantes et de vies préservées. Il est temps de choisir entre une vitrine olympique et la responsabilité d’un territoire vivant.

Les signataires de la tribune

  • Fiona Mille, Présidente Mountain Wilderness France
  • Eric Adamkiewicz, Universitaire
  • Clara Arnaud, Écrivaine
  • Lionel Astruc, journaliste et écrivain
  • Coline Ballet-Baz, ex-membre de l’équipe de France de ski freestyle, skieuse professionnelle, réalisatrice
  • Stéphanie Bodet, championne d’escalade et écrivaine
  • Olivier Bessy, sociologue du sport et du tourisme
  • Paul Bonhomme, guide de haute montagne, skieur de pentes raides, alpiniste et écrivain
  • Jean-Baptiste Bosson, glaciologue
  • Dominique Bourg, philosophe de l’environnement
  • Sophie Caillat, journaliste indépendante et Présidente-fondatrice des Éditions du Faubourg
  • Camille, Chanteuse, auteure, compositrice, interprète
  • Marine Calmet, juriste, fondatrice et directrice de Wild Legal
  • Anaïs Carrière, présidente de Biodiversité sous nos pieds
  • Juliette Caroulle, Porte-parole d’ANV-COP21
  • Damien Deville, géographe et auteur
  • Cyril Dion, écrivain et réalisateur
  • Guillaume Desmurs, journaliste et écrivain
  • Eric Ferraille, président montagne France Nature Environnement AURA
  • Julie Ferrua, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires
  • Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires
  • Dorian Guinard, maître de conférences en droit public à l’Université de Grenoble
  • Delphine Larat, cofondatrice du Collectif JOP 2030
  • Emily Loizeau, auteure, compositrice, interprète
  • Vincent Munier, photographe
  • Mathieu Navillod, skieur professionnel, président de l’association Une bouteille à la mer
  • Simon Parcot, écrivain
  • Zoé Pelegry, porte-parole d’Alternatiba
  • Lucie Pinson, fondatrice et directrice de l’ONG Reclaim Finance, lauréate du Prix Goldman
  • Olivier Remaud, philosophe, directeur d’études à l’EHESS
  • Heidi Sevestre, glaciologue
  • Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous
  • Flore Vasseur, autrice, réalisatrice

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