Madame la Ministre,
Le 18 novembre 2025, le Comité de contrôle de la Convention d’Aarhus des Nations Unies a jugé recevable la communication déposée par nos organisations concernant l’absence d’information et de participation du public dans le processus d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030. Cette décision constitue un avertissement grave adressé à la France et impose désormais au Gouvernement de répondre avant le 24 avril 2026. Cette échéance engage directement la crédibilité internationale de notre pays ainsi que la solidité juridique du projet JOP 2030.
Pourtant, malgré cette procédure inédite – première mondiale pour un projet olympique – et malgré les procédures pendantes, dont celle devant le tribunal administratif de Lyon en suspension du contrat hôte olympique et pour laquelle le CIO, le CNOSF et les régions PACA et AURA ont été mis en demeure de répondre avant le 30 novembre, le Gouvernement poursuit son calendrier comme si rien n’était en question. L’examen du projet de loi JOP 2030, les engagements financiers majeurs et les décisions opérationnelles prises avant même l’avis du Comité d’Aarhus créent une contradiction profonde entre les obligations internationales de la France et les choix actuellement posés. Cette persistance alimente un climat de précipitation qui fragilise encore davantage la légitimité du projet.
L’Autorité environnementale a d’ailleurs rappelé, dans son avis du 29 novembre 2024, que les JOP 2030 devaient faire l’objet d’une évaluation environnementale unique, globale et engagée en amont. Aucune démarche conforme à cette exigence n’a été initiée. À cela s’ajoute le refus du Comité national olympique de saisir la Commission Nationale du Débat Public, pourtant compétente pour garantir une participation démocratique à la hauteur des enjeux. La non-consultation du public ne résulte donc d’aucun oubli mais bien d’une décision assumée.
Les réunions dites d'information infrastructure par infrastructure devant se dérouler jusqu’en 2029, que vous invoquez pour démontrer la transparence du projet, racontent une tout autre réalité, ne sauraient se substituer à la participation du public exigée par la Convention d’Aarhus. Celle à laquelle nous avons assisté à Saint-Jean-de-Sixt en est un exemple frappant : interdiction de filmer ou de photographier, contrôle strict de la prise de parole, obligation pour chaque intervenant de décliner son identité complète, impossibilité de poser la moindre question sur les Jeux dans leur globalité. Une telle mise en scène ne peut être tenue pour une démarche d’information ou de participation du public sur l’ensemble du projet et tant que des alternatives sont possibles. Elle contredit l’esprit même et les obligations de la Convention d’Aarhus.
C’est dans ce contexte que vos récentes déclarations imposent une mise au point. Vous laissez entendre que notre mobilisation relèverait d’un positionnement partisan ou d’un malentendu sur le cadre de la concertation. Nous tenons à rappeler avec force que nos organisations représentent la société civile indépendante, engagée depuis des décennies pour la protection de l’environnement, la défense des droits fondamentaux et la participation démocratique. Nos actions ne relèvent d’aucune stratégie politique partisane : elles relèvent du droit, de la transparence et de l’intérêt général.
Il n’y a aucun malentendu.
La concertation prévue par la loi Olympique est non seulement minimale, mais elle ne porte que sur chaque projet d’infrastructure de la SOLIDEO, traité de manière fragmentée et tardive. Elle n’a jamais vocation à interroger l’opportunité même d’organiser les Jeux, alors que c’est précisément ce qu’exige la Convention d’Aarhus et ce que l’Autorité environnementale a explicitement rappelé : les JOP 2030 doivent être considérés comme un objet unique, nécessitant une évaluation d’ensemble et un débat public en amont.
En d’autres termes : la concertation prévue dans la loi olympique n’est pas une participation du public conforme à Aarhus. Elle n’est qu’une procédure annexe visant à “limiter l’impact” d’un projet déjà décidé, quand Aarhus impose d’interroger si le projet doit avoir lieu.
Dans ces conditions, vos déclarations laissant penser que cette opposition citoyenne serait politisée ou mal informée constituent non seulement un contre-sens, mais aussi une tentative de discréditer un mouvement citoyen légitime, qui interroge de manière responsable et argumentée l’utilité, la pertinence et les conséquences de ces JOP 2030 pour les Alpes et pour le pays.
C’est donc justement parce que les modalités de concertation prévues dans la loi olympique ne sont pas conformes que nous avons saisi le Comité d’Aarhus.
Il convient également de rappeler qu’en droit international, lorsqu’un État fait l’objet d’une procédure d’examen, celui-ci doit s’abstenir de prendre toute décision irréversible tant que l’instance n’a pas rendu son avis. Poursuivre l’examen parlementaire du projet de loi, engager des milliards d’euros ou lancer des opérations pré-olympiques reviendrait à anticiper, voire à entraver le travail du Comité d’Aarhus. La France s’exposerait alors à une condamnation internationale dont les conséquences politiques, diplomatiques et symboliques seraient considérables.
Il n’a par ailleurs jamais été démontré que les JOP 2030 répondent à l’intérêt général. Aucune analyse indépendante, aucune étude sérieuse coût-avantage, aucune exploration d'alternatives n’a été présentée. L’intérêt général, qui est la seule base légitime pour justifier les dérogations exceptionnelles prévues par le projet de loi olympique, demeure donc non démontré.
Au regard de l’ampleur du projet – plus de 4 milliards d’euros dont 2,5 milliards de fonds publics, près d’un million de tonnes de CO₂ et des impacts majeurs sur l’eau, la biodiversité, les mobilités et les territoires de montagne –, l'absence de consultation du public n’est pas seulement une erreur de méthode : c’est une faute et un déni démocratique et juridique majeurs.
Madame la Ministre, il en va de la crédibilité et de l’image de la France, de la protection de l’État de droit et du respect des territoires alpins. Nous vous demandons solennellement de suspendre immédiatement l’examen du projet de loi JOP 2030, de geler toutes les décisions engageantes et de lancer sans délai un véritable débat public national, conforme à la Convention d’Aarhus et au droit français.
Nous restons à votre disposition pour un échange direct.