© Christophe Angot

« L’échappée Belle : le trail peut-il être éco-responsable ? »

La semaine dernière se déroulait l’Échappée Belle, l’une des courses de trail les plus emblématiques du massif de Belledonne. Le trail, en particulier dans sa version compétition, concentre un paradoxe majeur : il met en avant un rapport sensible aux paysages de montagne, mais implique aussi une forte fréquentation des sentiers, une logistique lourde et parfois des déplacements internationaux massifs. Proposant une alternative au trail-business qu’incarne, entre autres, l'UTMB, L'Échappée Belle soulève un questionnement plus large : comment faire vivre l’esprit du trail et des pratiques sportives en montagne, tout en préservant les milieux naturels, dans un contexte de dérèglement climatique ?

3 min de lecture
Pratiques sportives

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 01 sept. 2025

Une table-ronde riche en échanges lors de la compétition de trail | Belledonne

À cette occasion, Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness, a participé à une table ronde sur « le sport comme levier de la transition écologique ». Pendant cette soirée, Fiona a échangé avec Olivier Bessy, sociologue du sport et auteur de nombreux livres sur le trail et l’événementiel sportif1. Olivier était en effet présent sur l’Échappée Belle pour évaluer le niveau d’éco-responsabilité atteint par l'événement sportif (impacts sur la biodiversité,  impact carbone, impacts sociaux et territoriaux). À cette soirée était aussi présente l'ultra-traileuse Julia Harnie ; suite à la projection du film « Sport 50 » dans lequel elle va à la rencontre des acteurs du sport pour dresser un état des lieux des enjeux entre sport et changement climatique.

Pour résumer les échanges, Oliver précise « qu’en 2025 en France le trail est devenu un véritable phénomène de société. Ce sport compte désormais plus de 1,5 millions de pratiquant·es et une cinquantaine de stations de trail. Chaque année, ce sont 4.500 trails et 7.000 courses qui sont organisés. » C’est un sport qui connaît une croissance continue. Face à un tel engouement, il est primordial de se questionner sur les impacts de la pratique. C’est notamment dans cette intention que l’on voit naître ces dernières années des « éco-trails » : des courses qui apportent une attention particulière à l’environnement, au lien social et au territoire local, tel que l’Echappée Belle. Durant cet événement, Marion, bénévole à Mountain Wilderness et Tom, salarié pour la campagne Changer d’Approche ont tenu un stand et sont allés à la rencontre des participant·es pour échanger sur « les impacts sociaux et écologiques de l’Échappée Belle ».

Comment rendre un événement de trail éco-responsable ?

Il est indéniable que la base de l’éco-responsabilité est mise en place sur l’événement de l’Echappée Belle. Les coureur·ses interrogé·es relèvent la présence de tri sélectif, l’absence de gobelet jetable, le respect du balisage et des sentiers, la possibilité d’avoir un repas végétarien, tous les ravitos se font avec des acteurs locaux (ce qui est rare pour des évènements de cette taille), l’incitation au covoiturage, la mise en place de navettes par l’organisation, la présence de toilettes sèches ainsi qu’un lien humain de qualité… De nombreux éléments qui font dire que l’on n’est pas dans une énorme course qui n’a que faire de son impact. En outre, l’association « Au delà du trail », travaille pendant et avant la course afin d’avoir un impact positif sur le territoire de Belledonne, prouvant ainsi que l’Echappée Belle est engagée pour agir concrètement à l’échelle locale et aller au-delà de l’éco-responsabilité. Par exemple, des coureur·ses bénévoles participent à des journées de rencontres avec les bergèr·es dans les alpages traversés par les parcours du trail et acheminent du sel pour les bêtes ou du matériel pour la saison. Ils participent à rénover des cabanes avec l’association « Tous à Poêle » ou encore à démonter des installations obsolètes en montagne, comme en 2024 à la Combe Roland. Des actions qui sont encourageantes et inspirantes pour d'autres trails !

Et pourtant, un regard aguerri tel que celui d’Olivier Bessy, chargé de l’audit de l’événement, pointe quelques limites: « En effet, à l’arrivée de la course prédominent des stands qui poussent à la consommation, le speaker parle avant tout de performance sportive et de record et bien peu de territoire, d’environnement et de liens sociaux. La marge de progression pour ressembler à un éco-village qui serait en cohérence avec le positionnement de l’événement est encore importante. De plus, les parkings et le parc d’Aiguebelle sont saturés. Enfin, l’organisation a encore grossi et ajouté une nouvelle course cette année pour faire face à des difficultés budgétaires ».

L’événement propose même une « Échappée étoilée » qui consiste précisément à courir de nuit, là où le dérangement sur la faune est plus fort… Durant l'événement, il était aussi marquant de constater le peu d’information et de sensibilisation grand public. Une telle course est l’occasion d’augmenter le niveau de conscience collective : former encore plus sur les espaces naturels sensibles traversés, sur la faune et la flore présente, ainsi que sur l’impact des transports et de la consommation qu’implique une telle organisation. Il est certain que l’Echappée Belle a le potentiel d’être encore plus exemplaire en la matière : les organisateurs ont bien conscience qu'ils ne sont pas "exemplaires" et ont déclaré « être à 50% du chemin et vouloir aller plus loin ».

Repenser l'impact des évènements sportifs en montagne

Dans son ouvrage à sortir2, Olivier Bessy propose quelques pistes d’actions, partagées par Mountain Wilderness, qui permettraient d’aller plus loin et repenser l’impact d’un événement sportif en montagne :

  • Déconstruire la dynamique de croissance : arrêter d’évaluer un événement à l’aune du nombre de participant·es, pour se centrer sur la qualité. Le contexte écologique oblige à réduire la taille des événements alors que le contexte économique oblige les organisations à grossir. Être transparent sur ces choix et leurs conséquences est indispensable si l’on veut redimensionner les événements et minimiser leur impact.

  • Limiter le nombre de participant·es et d’accompagnant·es à chaque course et limiter le nombre de circuits, pour réduire l'impact sur les milieux naturels.

  • Favoriser le "sport local" et la participation des locaux aux courses afin de limiter les déplacements longue-distance, fortement émetteurs de CO2.

  • Réserver 50% des dossards aux coureur·ses qui se déplacent en train ou en co-voiturage. En venant en mobilité douce, en s’immergeant dans le territoire et en faisant du déplacement jusqu'au départ de la course une aventure.

  • Organiser des courses "plaisir", sans montre, où l’on prend son temps, où l’on reconnecte avec un rapport sensible à la montagne.

  • Interdire le passage des trails dans les réserves naturelles et autres espaces protégés4.

Face à des impératifs parfois contradictoires, l'essentiel est d'ouvrir des espaces de dialogue

Les traileur·euses et organisateurs de courses sont tiraillés entre différents impératifs, parfois inconciliables : la rentabilité économique, le culte de la performance, la mise en valeur des territoires et la réduction des impacts environnementaux. Pour répondre en partie à ces contradictions, la campagne Changer d’Approche appelle à prendre son temps et propose un kit de sensibilisation pour agir concrètement. 

Individuellement et collectivement nous devons ouvrir des espaces de discussion pour nous poser ces questions : 

  • Est-ce que la montagne est un simple support dédié à la performance, un « terrain de jeu » qui peut être utilisé voire dégradé ? 
  • Est-ce qu’on cherche un rapport plus sensible à notre environnement montagnard ? 
  • Peut-on concilier performance et sensibilité au milieu ? 
  • Comment est-ce que l’on s’engage pour participer à sa protection et repenser nos manières d'accueillir en montagne ?
  1. « 20 ans d’UTMB. De la construction du mythe à l’incarnation d’un avatar de l’hypermodernité », O. Bessy, 2024.
  2. « Les événements sportifs territoriaux. Défis et perspectives », chapitre II « Pour des événements sportifs et touristiques éco-responsables. Une démarche pour mieux agir », écrit par Olivier Bessy, paru chez PUS en 2025. | « Courir sans limites, La révolution de l’ultra-trail (1990-2025) », O. Bessy, à paraître en septembre 2025
  3. Par exemple, l'UTMB passe dans la réserve naturelle des Contamines et des Aiguilles rouges.

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