© Fiona Mille

Entretien avec Joël Giraud : « Donner aux territoires de montagne les moyens d’assurer leur destin »

Dans le cadre de la publication du Dossier Thématique #11, nous avons pu mener une interview avec Joël Giraud, secrétaire d’État à la Ruralité auprès de la Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Cette longue interview n’a pu être publiée dans son intégralité au sein du Dossier Thématique. Nous vous proposons ici un retour exhaustif sur cet entretien.

7 min de lecture
Transition
Aménagement
Tourisme

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 14 sept. 2021

Alors président de la commission permanente du Conseil National de la Montagne, Joël Giraud déclarait en 2015, dans les pages de la revue n° 99 de Mountain Wilderness :

« Le tourisme n’est qu’une des composantes de l’avenir en montagne, qu’il faut une politique d’aménagement du territoire qui prenne en compte l’ensemble des enjeux, dont le tourisme, mais pas que le tourisme. […] le tourisme en montagne n’est pas un produit financier, mais un élément d’une montagne à vivre qui fait déjà le futur d’un certain nombre de pays ».

Joël Giraud

Mountain Wilderness

- « Portez-vous toujours cette vision aujourd’hui alors que le plan « Avenir Montagnes » annoncé par Jean Castex fin mai s’adresse principalement aux acteurs du tourisme montagnard ? »

Joël Giraud

- « Oui absolument le plan « Avenir Montagnes » est la composante touristique d’une politique de la montagne et de la ruralité plus globale et transversale. On ne peut nier que l’économie touristique a été particulièrement bouleversée par la crise sanitaire et qu’elle est particulièrement impactée par le réchauffement climatique. Ce programme « Avenir Montagnes » a pour objectif de travailler sur une nouvelle forme d’attractivité des territoires de montagne. Certes, il a pris l’option du tourisme pour le faire et pas celui des services à la population mais peut-on durablement maintenir des services à la population si la population continue à se concentrer dans les zones métropolitaines ? Assurément non.

D’autres actions que le gouvernement mène dans le cadre de l’Agenda Rural, des programmes comme « Petites Villes de Demain », ou encore dans le cadre de la mise en place des Contrats de Relance et de Transition Ecologique (CRTE) concernent tout autant la montagne que la plaine. Les politiques publiques sont en ensemble qui ne peuvent se lire uniquement en fonction de l’actualité ou de l’interlocuteur. »

Mountain Wilderness

- « Le modèle touristique autour du ski alpin est toujours omniprésent, y compris dans le plan « Avenir montagne. Que proposez-vous pour les territoires de montagnes dans lesquels le ski alpin n’est déjà plus, ou encore n’a jamais été un pilier de développement ? »

Joël Giraud

- « Omniprésent ? Je ne le crois pas. Voilà plusieurs décennies que les territoires de montagne ont commencé leur diversification. Il faut sortir des visions manichéennes qui nous enferment et n’ont pas d’autres objectifs que de créer des oppositions stériles. La montagne a besoin de consensus et d’unité pas de division et de crises qui renforcent les positions extrémistes sans solution réelles pour les habitants ou l’environnement. Or, ce travail de concertation a permis que Mountain Wilderness et Domaine Skiable de France partagent à nouveaux des réflexions communes. Les interventions dans les différents massifs ont été très positives sur cela.

Il s’agit donc de retrouver les principes de l’auto-développement des territoires de montagne et pas uniquement des communes supports de stations, mais bien des pays et des vallées. Il s’agit aussi de favoriser un tourisme plus attentif à son impact environnemental, plus adapté au réchauffement climatique, plus favorable aux habitants permanents de nos villages. En cela, il s’agira aussi pour les territoires de reconstruire une économie touristique qui crée de la valeur localement.

Dans tous les cas, les projets des territoires ne pourront être portés seuls, sans l’apport d’une ingénierie qui les accompagne et leur permettra de structurer ces actions transversales qui doivent être cohérentes et favoriser les synergies entre elles. Ainsi le volet ingénierie du programme « Avenir Montagnes » (31 millions d’€) doit aider les territoires à changer en leur donnant les moyens de corriger leur dysfonctionnements, d’adapter leurs projets et de considérer différemment l’avenir, notamment en embauchant un chargé de mission dédié à ce travail et que nous accompagnerons avec des connaissances et des échanges de bonnes pratiques.

Il n’y a pas de solution miracle et surtout il n’y aura pas de nouvelle vision descendante qui laisserait les territoires de montagne plus artificiels et plus dépendants ; il y a au contraire l’objectif de leur donner les moyens d’assurer leur destin en portant plus de responsabilité par rapport à leur environnement et aux générations à venir. »

Mountain Wilderness

- « Comment le gouvernement compte-t-il s’assurer que les fonds issus des plans de sauvetage Covid et du plan national « Avenir Montagnes » n’iront pas pour des projets d’aménagements touristiques lourds repoussés auparavant, faute de moyens, faute d’opportunités à cause du Covid ? »

Joël Giraud

- « La partie investissements du programme « Avenir Montagnes » (300M €), appelée Dotation de Résilience, devra passer par un avenant des Contrats de Plan Interrégionaux État-Régions (CPIER), c’est-à-dire par les Conventions interrégionales de massif.

Ces documents de programmation sont premièrement établis après un avis conforme de l’Autorité environnementale et en cela sont très clairs sur leurs aspirations : aucun financement pour des projets à fort impact environnemental. Par ailleurs, les associations environnementales comme FNE, Mountain Wilderness mais aussi les Parcs naturels et d’autres acteurs de l’environnement, participent activement à la rédaction des Conventions interrégionales de Massif au sein des Comités de massif. Mais surtout, la prise de conscience des territoires quant aux enjeux environnementaux et climatiques est plus large que l’on ne le pense parfois. La concertation l’a démontrée.

C’est donc pour cela, comme vous le savez que les 31M€ d’ingénierie sont également orientés sur ces mêmes aspirations. Les territoires doivent être accompagnés vers la transition écologique et la résilience.

Par ailleurs, l’éco-conditionnalité des aides a également été proposée pour les autres types de financement sachant qu’une grande partie concerne des enjeux environnementaux (éco-mobilité, rénovation énergétique, biodiversité) ou sociaux (enfance, jeunesse). »

Mountain Wilderness

- « Comment les EGTT, dans le cadre de la présidence française de la SUERA et dont l’organisation est accompagnée par les services de l’État, peuvent accompagner l’application de ce plan montagne ? Notamment sur le volet ingénierie et projet de territoire ? ».

Joël Giraud

- « Nous avons fait le choix d’accompagner et de soutenir les EGTT parce qu’ils sont un « moment », un forum de discussions et d’échanges qui, sur un sujet précis - la transition du tourisme en montagne - travaillent à l’émergence d’une vision partagée. Ils sont ouverts à la diversité et au progrès. De fait, tant dans la préparation, dans la concertation, comme dans la mise en œuvre, les EGTT nourrissent, structurent la pensée collective des massifs français et ont déjà eu un rôle dans la conception de ce programme « Avenir Montagnes ».

Mais les EGTT ne sont évidemment pas l’objet d’un travail mercantile qui chercherait à se valoriser mais, et c’est beaucoup plus profond à mes yeux, un moment de partage sans but lucratif. Les idées qui émergeront, nourriront évidemment les travaux de l’ingénierie et surtout, c’est notre objectif, les investissements qui se feront dans les projets de territoires pour qu’ils soient plus agiles et plus durables.

Plus opérationnellement, concernant l’ingénierie qui sera proposée, je suis non seulement convaincu qu’elle sera inspirée par les travaux des EGTT mais que certains des participants, forts de leur expertise, seront mobilisés dans le cadre de ce volet ingénierie pour accompagner les territoires.

Le calendrier, qui reste ouvert, et des projets déposés au « file de l’eau » auprès des commissariats de massif apparaissent en cela parfaitement en phase avec les travaux des EGTT qui incarnent le « pouvoir culturel », « l’insurrection des consciences. ». »

Mountain Wilderness

- « La “valorisation de la biodiversité”, des patrimoines en général, est un moyen de répondre à une “attente sociétale forte pour un tourisme de pleine nature”. A l’heure ou la biodiversité montagnarde est souvent mise en péril, par des pratiques sportives inadaptées, par une surfréquentation des espaces naturels, par des aménagements touristiques ou industriels ou encore par une méconnaissance des réglementation et mesures de protection en vigueur, on peut cependant craindre, et on l’a vu lors de phases de déconfinement, qu’une forte pression s’exerce sur ces patrimoines par des visiteurs peu informés, peu formés.

Quelle place le plan montagne donne-t-il à l’accompagnement, à l’accueil de ces visiteurs dans des espaces fragiles ? Au-delà de la rénovation de sentiers, quel savoir-être en montagne pourra être transmis pour une cohabitation respectueuse et viable entre la biodiversité montagnarde et les humains ? ».

Joël Giraud

- « C’est effectivement un risque, et les urbains qui découvrent la montagne, qui y viennent se ressourcer ont parfois une vision un peu … « décalée».

L’Éducation à l’Environnement et au Patrimoine (naturel et culturel) est au cœur de cette nouvelle offre touristique que nous voulons et, nous souhaitons sur ce sujet, comme le sport peut être à la base d’un tourisme actif, que la montagne soit perçue comme le lieu de la contemplation, de l’observation, de l’immersion dans la nature, y compris dans sa dimension pédagogique et scientifique (biodiversité, réchauffement climatique, etc.).

Dans l’ingénierie, comme dans les investissements, cette question du respect d’une biodiversité fragile et « merveilleuse » de la montagne, mais aussi celle de la gestion des conflits d’usage que nous connaissons et connaitrons encore demain, sont des sujets déterminants de cette « envie d’avenir » qui vient des territoires de montagne eux-mêmes. »

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