Pourquoi avons-nous besoin de nouveaux imaginaires pour nos montagnes ?

Les « imaginaires » sont une culture, des valeurs et une vision collectives qui guident nos manières de penser, de décider, d’agir, et de se comporter avec les autres et avec notre environnement. Ces représentations et normes de vie sont institutionnalisées par une société à une époque, et courent sur plusieurs dizaines d’années¹.

Il s’agit par exemple de la place de la technologie dans notre vie, de celle de la nature, de notre rapport aux autres, de l’idéal social du moment pour être heureux etc. Les imaginaires sont déjà là à notre naissance ; ils sont entretenus par notre éducation, les modèles économiques des entreprises, les modes d’aménagement de nos territoires, les discours politiques, mais aussi par les marques, les films, les offices de tourisme etc.

Les « récits prospectifs » sont des histoires créées et racontées sous forme de texte, film, bande dessinée, exposition etc, qui proposent de se projeter dans d’autres moments ou modes de vie. Puisqu’ils parlent à nos émotions via la peur, la joie, la surprise.., les récits prospectifs peuvent permettre d’accélérer des évolutions d’imaginaires collectifs difficilement concevables uniquement par nos modes de pensée rationnels.

Depuis les années 60, l’imaginaire dominant dans le rapport de l’Homme à la montagne est celui d’une montagne objet de consommation de loisirs. L’Homme aménage la montagne pour qu’elle s’adapte à ses besoins, développe la mono-activité économique du tourisme, et recourt souvent à la technologie pour proposer « toujours plus, tout de suite » ; par ailleurs, pour lui, écologie et justice sociale sont contraignantes, voire inatteignables.

Cet imaginaire n’est plus tenable car il met en péril la vie en montagne : surfréquentation touristique, destruction d’espaces naturels, neige artificielle, déplacements majoritairement en voiture individuelle et autres modes de vie qui y sont liés engendrent :

• la multiplication des catastrophes naturelles ;
• la raréfaction de la ressource en eau ;
• la pollution des vallées et de « l’air pur de la montagne » ;
• la difficulté de s’y loger ;
• la disparition de la biodiversité garante de notre alimentation et des équilibres de tous les vivants...

La montagne « terrain de loisirs » est révolue, mais nous pensons que d’autres modes de vie y sont possibles.

Les territoires de montagne disposent d’ingrédients incroyables pour être moteurs des transitions : écosystèmes naturels exceptionnels, vie associative et citoyenne très riche, savoir-faire pragmatique, dynamisme socio-économique etc. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreuses initiatives de transition émergent ; toutefois, basées sur les imaginaires actuels, elles ne sont pas encore à la hauteur des enjeux du maintien de la vie humaine et sauvage en montagne

En s’inspirant des sciences sociales et humaines, nous sommes convaincus que prendre le temps de réfléchir collectivement aux imaginaires actuels liés à la montagne et faire la place à des imaginaires alternatifs en les mettant en récit permettra d’interroger les projets de transition locaux et de les rendre plus à même d’enclencher des changements profonds de modes de vie pour assurer une montagne à vivre, respectueuse de tous les vivants. C’est une formidable opportunité pour rêver et créer !

C’est sur ce principe que Mountain Wilderness et d’autres partenaires (KAP, Mountain Riders, CIPRA, Mountain Change Makers, Convention des Entreprises pour le Climat) ont conçu le projet « Imaginaire des Montagnes » sur 3 ans (2025-2027) en partenariat avec le Comité de Massif des Alpes (État, Région Auvergne-Rhône-Alpes et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur) et l’ADEME, afin d’accélérer la transition des territoires de montagne.

1. Source : Comment faire évoluer nos imaginaires, Ademe/Julien Colé, 2022